Atelier de Philosophie Biarritz Côte Basque "Soyez vous-même, les autres sont déjà pris" O. Wilde

Colère

  • Christophe
    • Christophe
    Fil sur le thème de La Colère, vidéo La philosophie, un certain mode de vie
  • pierre capperon
    • pierre capperon
    Ce matin il pleut alors que j'avais le désir de tondre ma pelouse,et pourtant je ne suis pas en colère!
    Éclairé par la passionnante radiographie de Christophe,je me suis demandé pourquoi.
    Peut être parce-que ce désir était trop faible ou que plus vraisemblablement je sais que je ne peux rien contre le temps qui lui même ne sais pas que j'existe?
    Je pense pouvoir réserver et ressentir une colère contre un de mes semblables qui lui , sait que j'existe, et tente de me blesser ou de nuire à d'autres humains,mes frères.
  • Mesquida André
    • Mesquida André
    Salut Pierre,
    Il me semble qu'une colère est toujours adressée à quelqu'un qui peut l'entendre. Par rapport à la météo m'empêchant de réaliser mes projets, il me semble que c'est plutôt de la déception que j'éprouverai.
    André
  • Christophe
    • Christophe
    L'histoire rapporte que Xerxès, roi de Perse au 5ème siècle avant Jésus-Christ, après avoir soumis l'Egypte, entreprit de réduire la Grèce, prolongeant l'entreprise conduite par son père Darius.
    Pour ce faire, il leva une armée immense et lança, en direction de la mer Égée, une flotte impressionnante. Il fit construire un pont de bateaux, dans le détroit de l'Hellespont, afin de le franchir. Malheureusement, la mer déchaînée brisa ce pont. Alors, fou de rage, Xerxès commanda de fouetter la mer qui avait contrarié l'accomplissement de son plan. Il pensait ainsi la punir de son insubordination.
    Autrement dit, sa colère avait pour objet la mer, qui s'était dressée comme un obstacle à la réalisation de son désir.

    On retrouve la structure évoquée à propos d'une forme de colère, à savoir que la colère naît du constat dépité d'un écart entre le désir d'un individu et sa réalisation. Il est en colère parce qu'il n'y arrive pas, il ne parvient pas à ses fins et il impute la responsabilité de cet échec à quelque cause extérieure.
    La réalité se soustrait à ses désirs et lui oppose une fin de non-recevoir, expérience qui le plonge dans la peine et la colère.
    Comme si la réalité prenait un malin plaisir à infliger un affront à sa volonté et à sa puissance. Elle le révèle impuissant et il ne le supporte pas.
    Selon Xerxès, les choses auraient pu se passer autrement, si seulement la mer y avait consenti. Il suppose à la mer une volonté, un pouvoir de décider et d'agir. En ceci, sa vision des choses relève de croyances qui nous paraissent irrationnelles. La mer n'est pas un être doué de conscience et de volonté. Seules les mythologies pouvaient nourrir ce type de croyances. La mer obéit à la nécessité de lois naturelles, nulle intervention de dieux ou de puissances occultes n'est à supposer pour expliquer une tempête. La météo y pourvoit.
    Manque de rationalité et de lucidité chez Xerxès donc. Ou plutôt, il appartenait à un univers spirituel et culturel très différent du nôtre, un univers dans lequel les dieux et déesses pouvaient intervenir dans le monde des hommes et utiliser les éléments naturels pour accomplir leurs desseins.

    Mais quand nous nous mettons en colère contre un autre, une autre personne, douée, elle, de volonté et de conscience, ne lui supposons-nous pas parfois un pouvoir qu'elle n'a pas ? Autrement dit, ne nous lui reprochons pas quelque chose qui, au fond, est étranger à sa volonté ?
    Dans ces cas (bien sûr, ils ne sont pas représentatifs de tous les cas dans lesquelles nous pouvons nous mettre en colère), peut-être rendons-nous l'autre responsable d'une insuffisance, qui, en fait, ne lui est pas imputable.
    Peut-être déplaçons-nous le problème : on en veut à l'autre de nos propres manquements. Si je n'y arrive pas, c'est à cause de toi !
    Dans de telles situations, le problème, ce n'est pas la volonté et le désir de l'autre, volonté et désir qui font obstacle à notre accomplissement, mais notre propre volonté et notre propre désir qui, mal orientés, c'est-à-dire tournés vers de mauvais objets, se condamneraient à l'échec.
  • Régine Rongier
    • Régine Rongier
    "deviens ce que tu es" renvoie à Érasme " l'Homme ne naît pas homme il le devient"
    Merci Christophe de nous interpeller en ce temps mou, vidé de l’énergie collective ....
  • Schlachter
    • Schlachter
    Certaines colères sont révélatrices de nos manquements, de nos incompétences, de nos présomptions (dans cet exemple...impuissance à dompter l’océan). Elles nous permettent après analyse intime, de nous calmer d’abord...puis de reconsidérer l’humilité de notre condition, de faire profil bas.

    Je pense à d’autres colères muettes. Pourraient-elles (si révélées) être entendues comme expression de sentiment d’impuissance, révélant l’injustice, et peut-être enfin être entendues comme légitimes ?
    Ou bien doit-on se résoudre à penser « puisque le mal est fait, peu importe et il est trop tard pour quelconque reconnaissance ou réparation » ?

    Notre besoin de consolation est impossible à rassasier.
  • Schlachter
    • Schlachter
    Pardon, je voudrais ajouter une question, s’il n’est pas trop tard.
    Promis après ça je ne dis plus rien...quoique...
  • Schlachter
    • Schlachter
    Voici :
    Quelles qu’en soient les causes...la colère, les colères sont-elles mauvaises conseillères...émotion à observer...puis à laisser s’évanouir, se métamorphoser en oubli.
    C’est à dire, qu’il nous faudrait oublier l’effet (la colère), mais alors comment faire abstraction des causes ? Hélas je ne sais pas très bien, j’ai l’impression de me mélanger les « pinceaux » cher philosophe
  • Christophe
    • Christophe
    Nous nous mettons en colère parce que nous sommes vivants et que les êtres, les situations, les événements nous affectent. En cela, la colère est un phénomène naturel. Cependant, notre sensibilité pourrait se traduire simplement sous les affects de plaisir et de douleur, qui sont les affects élémentaires qu'éprouvent tout être vivant.
    La colère se situe sur un autre plan, lié au premier et cependant distinct. Ce plan est celui du jugement : nous nous mettons en colère certes parce que nous souffrons mais aussi parce que nous jugeons que cette souffrance est imméritée et injuste. Un jugement n'est pas nécessairement réfléchi, il peut être spontané et impulsif. Ce n'est pas pour cela qu'il est erroné ; il peut être fondé ou pas. Seul un examen permettra de l'établir.
    Aussi, je ne pense pas qu'il faille faire abstraction des raisons pour lesquelles on se met en colère. Au contraire, cet examen devrait nous permettre de distinguer les colères qui sont justes de celles qui ne le sont pas.
    La colère de Xerxès n'était pas juste, elle revêtait même un caractère grotesque si l'on ne partage pas ses croyances. De même, en vouloir à certains ou s'emporter dans certaine situations peut paraître inutile, injuste ou ridicule.
    Il existe aussi des cas où la colère est parfaitement juste. Cette colère est provoquée par une situation ou une conduite qu'on n'accepte pas, que l'on juge intolérable, scandaleuse, voire inhumaine. Se mettre en colère est le signe que l'on n'est pas indifférent, résigné, cynique ou désespéré. C'est un signe de bonne santé, si l'on peut dire.
    On peut se mettre en colère parce qu'on est victime de cette injustice ou bien parce qu'on est témoin de cette injustice. Le bouleversement est physique et moral. La colère exprime alors le dégoût ou la révolte qu'on éprouve légitimement.
    Parfois, la colère suffit à nous apaiser Parfois, ce n'est pas le cas. Parfois, la colère passe ; parfois, elle ne passe pas, elle continue à nous habiter, comme une colère sourde, une colère de fond. Alors on vit, abritant en soi un puissant et irréductible sentiment de colère.
    Je ne saurais dire si c'est une bonne chose ou pas. Sans doute pas si l'on en juge d'un point de vue général mais toute existence est particulière et l'on doit composer avec certaines épreuves qu'on n'a pas pu éviter et certaines épreuves sont vraiment redoutables et cruelles. On pourrait avoir le sentiment de se trahir en éteignant sa colère, si jamais on en était capable.
    On peut aussi imaginer que cette colère, profonde, viscérale, finit par s'amoindrir avec le temps et que, sans disparaître, elle occupe en soi une place mieux circonscrite, de telle sorte qu'elle perd de sa nocivité - on cesse de se confondre avec elle.
    Elle induit moins de détresse et de douleur, voire, dans le meilleur des cas, elle rend plus humain.
  • Christiane GARRIVET
    • Christiane GARRIVET
    La colère
    Ma conception de la colère se rapprocherait plutôt de celle d’Aristote. Je considère la colère comme une émotion « humaine », à considérer au même titre que n’importe quelle autre émotion. Il y en a de positives, il y en a de négatives, et chacune a un sens qui traduit émotionnellement notre réaction vis à vis d’une situation.
    Dans certaines approches, il est bon d’éradiquer la colère, au point qu’avoir atteint un degré d’équanimité face aux événements de la vie est considéré comme une manifestation de la sagesse.
    Je ne partage pas ce point de vue, car je considère que la colère que j’éprouve - si je sais l’identifier et l’accueillir - me renseigne sur mon jugement, mes valeurs, ma culture et sur l’écart entre ceux-ci et la situation dans laquelle je me trouve.
    Il me semble important de différencier la colère et la mise en acte de celle-ci, voire même, peut-être, le « passage à l’acte » qui serait un acte de violence. Comme toute émotion, elle a d’innombrables degrés d’intensité et de nuances, et toute colère ne mène pas à la violence.
    En revanche, une colère bien identifiée et passée par le filtre de la raison, comme tu le dis, Christophe, à la fin de ton développement, peut m’amener à poser un acte qui peut être juste et même profitable à autrui.
    Je différencie aussi la colère, que je considère comme un éprouvé potentiellement productif et qui peut se traduire, lorsqu’il est « cultivé », par une action de la part du sujet et une émotion que l’on pourrait appeler la rage impuissante, qui est ce vécu que tous les ex-enfants que nous sommes connaissent bien car ils l’ont éprouvé face aux figures des adultes qui détenaient le pouvoir.
    Il y aurait encore beaucoup à dire sur le sujet. Mais je garde en mémoire et dans mon cœur le souvenir du discours de Robert Badinter défendant l’abolition de la peine de mort devant l’Assemblée Nationale. Il rugit, comme il sait le faire, d’une colère qui, tant elle est parfaitement assumée et maîtrisée, réussit à emporter son public et opérer cette révolution qui fait que cessera définitivement ce qu’il nomme « la justice expiatoire » de la peine de mort.
    Plus récemment, il faut le revoir fulminer encore malgré son grand âge, d’avoir vu certains gilets jaunes promener la tête du Président de la République au bout d’une pique.
    Prenez soin de vous, et un immense merci à toi, Christophe, pour ces vidéos qui enchantent notre confinement.
  • Christophe
    • Christophe
    Merci de ton éclairage, Christiane.
    J'ai vu les images, très impressionnantes, de Robert Badinter à la tribune de l'Assemblée nationale, défendant l'abolition de la peine de mort. Je l'ai vu et entendu en d'autres occasions, exprimant avec passion son indignation à propos de tel ou tel événement, le trouvant parfois pertinent, d'autre fois moins.
    On a ici une illustration assez remarquable de l'usage rhétorique des passions, ici de la colère, en vue de persuader son auditoire, tel qu'Aristote l'analyse.
    La colère, en cette occasion, n'est pas l'ennemi de la raison mais bien plutôt son alliée. Réduite à elle-même, c'est-à-dire à la qualité et précision de ses arguments et de leur expression, la raison n'est pas sans effet sur ceux à qui elle s'adresse mais ces effets dépendent très largement des bonnes dispositions de cet auditoire : la mise entre parenthèses de ses préjugés, certitudes ou intérêts, l'examen attentif des dits arguments et la reconnaissance éventuelle de leur validité en faisant fi de ses préférences. De telles dispositions ne se rencontrent que rarement et sur des sujets dégagés de toute passion.
    La peine de mort, il va sans dire, était un sujet sulfureux. Provoquer des émotions fortes chez ceux qui vous écoutent peut se révéler plus efficace pour emporter leur adhésion. On pourrait dire que R. Badinter s'est mis en colère et qu'il a moins subi cette passion qu'il ne l'a provoquée, en lui d'abord et chez les autres ensuite, par un phénomène de contagion. Loin de se porter préjudice, dans ce cas, raison et colère font cause commune.
    Le péril auquel s'expose l'orateur est que sa colère paraisse feinte, insincère, artificielle. Nul n'a porté de tels soupçons à l'encontre de R. Badinter, la profondeur de son engagement étant connu de tous. Un autre péril tient à ce que cette colère, même si elle prend un tour spectaculaire, s'en réfère à des raisons trop faibles ou mal façonnées, de telle sorte que la colère perd son fond et sa consistance. La colère de R. Badinter échappe aussi à ce reproche et l'on sait la rigueur de sa réflexion sur la peine de mort. Un dernier péril tient à la position qu'adopte ainsi l'orateur : il sermonne son auditoire et l'on peut s'interroger sur la légitimité de cette position. Jouit-il de vues supérieures qui l'autorisent ainsi à chapitrer ses auditeurs ? A-t-il vocation et légitimité à poser ainsi en instituteur de l'humanité ? Il est délicat d'occuper une telle posture. Sur la peine de mort, R. Badinter a évité ce dernier péril. Sur d'autres questions, il a pu y succomber.
    Du juste usage de la colère rhétorique...
  • PERE Grino
    • PERE Grino
    Bonjour,
    et merci à Christophe (que j'ai découvert à Biarritz début 2020) de faire vivre ce forum.
    J'aurai 3 remarques
    - dans une approche psychanalytique, quand Xerxès commanda de "fouetter la mer", j'entends sa colère vis à vis de sa mère.
    Une caractéristique que l'on peut retrouver chez nombre de dictateurs.
    Pour ne citer que les plus anciens, César, abandonné par sa mère décédée à son accouchement...
    - Et quand je suis seul, à bricoler par exemple, et me blesse, je peux m'en prendre, soit aux dieux par un "Nom de d.eu" par exemple,
    mais aussi à la "mère" symbolique cette "Inanna" que nos amis au sud des Pyrénées savent encore mieux invoquer que nous.
    Pour celles ou ceux qui ont besoin d'interprètes, GGL vous donnera sans doute des exemples.
    En français courant le célébrissime "Pu.ta.in!!!!" nous renvoie in utéro, quoi qu'on n'en dise ... ou rien.
    - quand notre colère s'exprime vis à vis des éléments climatiques, serait-ce simplement re-connaitre que dans la hiérarchie des "matie", qui passe par la primatie, la suprématie, la spermatie (son anagramme), la diplomatie fait pale figure, et les autres de se soumettre à la climatie...
    ' Enfin, affirmer que "
    "Le péril auquel s'expose l'orateur est que sa colère paraisse feinte, insincère, artificielle. Nul n'a porté de tels soupçons à l'encontre de R. Bad.inter, la profondeur de son engagement étant connu de "tous"...." est bien méconnaître le métier d'avocat, dont l'outil premier est la simulation, le mensonge, la manipulation. Et quand on devient Garde des Sceaux, on est aussi gardien des sots...
    Reprendre une telle affirmation est soit le signe d'une soumission à caractère clanique, soit, je le crois plutôt, le signe de l'ignorance du "verso", pour qui ne connait que le "recto"
    Dans la rubrique "Philo Sophie", il a tenu la palme du "filou - sophiste"
    C'est le fils d'un vieux magistrat de 97 ans, et juriste en retraite moi-même, qui vous l'écrit...
    Bien à vous

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